Les faiblesses sont parfois paradoxales. Le monde est changeant… Ces faiblesses aujourd’hui peuvent être des forces demain !

Je montais quatre à quatre les escaliers, le souffle coupé. Je n’osais pas me retourner, ne voulant pas prendre le risque de m’apercevoir qu’elle me suivait. Cette montée me parut interminable, jusqu’à ce que je pousse la porte de l’issue de secours qui menait au toit.
Enfin à l’air libre !
Bien que peu rassuré, je me forçais à adopter une attitude sereine et à reprendre la maîtrise de mon souffle. La sérénité ne semblait pas être une aptitude que je pouvais conserver bien longtemps sans surveillance…
Mon esprit allait ça et là, comme s’il était en sursis… D’un drame ? D’une attaque ? D’un danger ?… Pourtant le calme régnait sur cette nuit d’été, l’air était chaud, mais le chaos semblait s’être installé en moi. Une idée stupide me surprit :
– « Ai-je bien verrouillée la porte derrière moi ? »
Comme si cette épaisse porte de fer allait être une barrière en elle et moi. L’idée que celle-ci ne soit pas un obstacle pour elle, ne me facilita pas la tâche pour l’exercice de calme que je m’efforçais de maintenir depuis quelques minutes.
Non, rien n’allait survenir de derrière cette porte. Et si c’était le cas, je me battrai de toutes mes forces pour la repousser…
– « Mais comment la repousser ? Pensai-je. Je lui ai fait barrage, l’ai distancée dans ma course. Alors pourquoi je la sens si près de moi ? »
J’avais entamé un monologue peu rassurant et déconcertant à la fois. Sentant l’absurdité de celui-ci, il m’était néanmoins difficile de le faire taire. C’était le combat que je connaissais le mieux puisqu’il se répétait sans cesse, ne laissant aucun répit aux tensions corporelles que j’accumulais depuis que cette guerre avait commencé !
Quelques bruits de la ville venaient à moi et j’entendais les rires de cette fête que j’avais quittée précipitamment venir me chatouiller les oreilles, comme une invitation à revenir à la vie.
La vie… J’en avais fait une force. Ma force ! Je pouvais parfois en jouir à la limite de l’excès, bien que je sache cette menace jamais bien loin. Je cherchais inlassablement depuis des années ce contrat qui avait pu me lié à elle. J’aurai pu alors lui coller au visage, le déchirer avec colère et soulagement. Me sentir délié d’elle… Voici le souhait auquel j’aspirai le plus.
– « Encore une idée absurde ! » Pensai-je.
L’absurdité … Elle était le noyau de notre lien. Le nœud coulant de la corde du pendu. Elle, elle en avait l’attache principale entre ses mains, resserrant le lien quand bon lui semble, jusqu’en m’en étouffer….
Avec elle, j’avais, semble-t-il, perdu toute liberté. Et pourtant, je me sentais libre ! Libre de tout et de tous jusqu’à l’excès. Je ne supportais aucun attachement. Le lien que j’entretenais avec elle, avait fini par me rendre fragile au point de ne plus vouloir en tisser d’autres. Je n’aurai peut-être plus l’occasion de m’en défaire. Je me « déresponsabilisais » de toute obligation que pouvait créer le lien !
– « Nouvelle absurdité ! Pensai-je. Où suis-je proche d’une vérité ? »
Préoccupé par mes pensées, mon corps paraissait se détendre et mon esprit appréciait le calme alentour. Je constatais encore une fois que sa présence semblait moins pesante. Diluée… Effacée ! Mais cette sensation devenait tout aussitôt un contraste avec le sentiment qu’elle pouvait réapparaitre. Méfiance de mise, je retournais donc à mon état de vigilance.
Je ne sais pas combien de temps s’était écoulé depuis que j’avais quitté la fête. Quand elle apparaissait, le temps n’avait plus d’importance, il me fallait fuir ! J’en oubliais tout ce qui était autour de moi… Même Marina…
Marina… Combien de temps allait-elle supporter ça ! Mes fuites, mes abandons ! Elle semblait avoir pris l’habitude de ces moments là. Ce qui lui faisait peur au départ de notre relation, paraissait aujourd’hui n’être pour elle qu’un détail de ma personnalité. Elle avait appris aussi à décoder les signes de chacune de ses apparitions, mais contrairement à moi, elle ne lui tournait pas le dos. Elle l’observait prendre place tout à coup dans notre couple. Plusieurs fois, elle avait tenté de s’interposer face à elle, me retenant par la main, plongeant son regard dans le mien, mais elle comprit très vite qu’elle était peu de choses face à cette rivale. Combien de temps encore allais-je pouvoir partager mon espace ? Comment gérer cette cohabitation ?
Cela faisait deux années que nous nous fréquentions avec Marina, et il lui avait fallu seulement quelques jours pour s’apercevoir qu’une autre qu’elle occupait déjà une place importante dans ma vie. Je pensais que comme les précédentes, elle n’aurait pas l’envie de lutter pour faire sa place et me quitterait tout aussi tôt. Mais non ! Contrairement à mes précédentes relations, elle avait décidé de son plein grès d’attendre et de faire sa place. Elle n’avait engagé aucune lutte contre elle. Elle l’observait tout simplement… Parce qu’elle savait qu’après mes fuites, je réapparaissais tout aussi rapidement…Dès que je sentais que le danger s’éloignait de moi ! Marina avait pris le parti de me responsabiliser malgré moi, de créer un lien plus fort que celui qui me liait déjà à cet autre.
Et ce soir, je prenais doucement conscience que j’étais liée à autre chose qu’à celle qui me faisait fuir… Parce que le lien de Marina était un lien d’amour. Un lien de confiance ! Un lien qui m’efforçait à prendre conscience qu’il existait autre chose qu’elle. Ce soir, cet autre perdait peu à peu son emprise sur moi. Elle ne me semblait moins indomptable, puisqu’elle n’était pas arrivée à la faire fuir comme tous les autres. On pouvait donc lui résister. Je n’étais plus seul ! Nous étions deux !
– « Mais si Marina venait à partir comme toutes les autres ? »
Cette pensée coupa net le processus de détente auquel je m’accrochais depuis quelques minutes. J’entendis un bruit derrière la porte, comme un mouvement. J’étais pris au piège. Je ne pouvais pas fuir plus loin, tout autour de moi le vide était menaçant. Cette chaleur d’été me semblait suspecte, et mon environnement, clos ! Je voulais demander de l’aide mais les mots butaient dans ma bouche. Mes mains étaient moites. Je sentais mon cœur s’accélérer, jusqu’à sentir son battement dans ma gorge asséchée. Je perdais pied, et le vide qui se creusait en moi était tout aussi menaçant que celui qui m’entourait. Bien plus encore, puisque je ne pouvais y échapper. Tout se mélangeait… Emotions vives, tristesse intense, abandon, perte de sens. Mon esprit devenait le réservoir principal de toutes ses sensations intrusives et violentes. L’angoisse était telle que je me sentais perdre le contact avec moi-même, avec la réalité. Je me recroquevillais sur moi-même, cloué au sol par une force et une lourdeur insoutenable. Je fermais les yeux ! Battu ! J’avais encore une fois sous estimé sa force…Elle avait réussi à passer la porte !
Dix ? Quinze ? Vingt minutes tout au plus ? Je perçus le bruit de la porte et je sentis une main se poser sur moi. Marina !
– « Respires ! Ca va aller ! C’est fini maintenant. Je suis là… »
Mais jusqu’à quand ?
– « Il était là ? » demanda t’elle
Marina disait « il ». C’était peut être plus facile pour elle. Peut être se sentait-elle plus forte en la masculinisant ? Moins en concurrence ? Elle avait pris ce combat très à cœur et se plaisait à la surnommer « le reptile » ou mieux encore le « crocodile ». Pour elle, elle en avait tous les aspects. Véritable dragon, redoutable prédateur, adapté au changement, doué de stratégie, discret et … rapide !
Tenant fermement sa prise, les dents profondément plantées dans la chair de sa proie, il utilise alors toute sa puissance pour l’entrainer au fond des eaux, pour la noyer… tout simplement.
Marina s’installa prés de moi et posa ma tête sur ses jambes. J’étais épuisé ! J’avais échappé une nouvelle fois à la « noyade » et j’avais du mal à récupérer mon souffle. Mon corps transpirant, je frissonnais malgré la chaleur de cette nuit d’été. Je pleurais ! Mon corps se vidait de ses tensions, en effectuant des soubresauts incontrôlables. Marina tirait paisiblement sur sa cigarette… Elle attendait… Que mon orage interne se soit calmé… Seule une phrase s’échappait de sa bouche, dans un contraste de douceur, de détermination et de colère :
– « Lime-lui les dents bordel… Lime lui ses dents et tire le au sol »…
L’image n’était pas rassurante, mais le moment d’ouvrir les yeux semblait venu…
Il y a un autre, et cet autre fait parti de moi… Mais cette partie abimée, je ne sais pas comment la rejoindre. C’était le nerf de ma guerre contre elle. Je la pensais une entité distincte de moi, alors qu’elle n’était peut être qu’une alliée. A force de combat, j’en avais peut être oublié aussi qu’elle pouvait être vitale, et je renforçais de ce fait son intensité. Cette violente résistance en avait détraqué la mesure. Elle était devenue une alarme bruyante et incessante… A force, de ne pas vouloir la regarder j’en avais fait mon ennemi. Maintenant je savais que j’avais peur… J’avais peur de la peur !
Cette peur pouvait surgir partout, sous toutes ses formes, avec plus ou moins d’intensité, et de guerre lasse j’avais fini par abandonner, lui laissant le champ libre. Epuisé par tant d’années de stratèges, j’étais devenu une proie facile et vulnérable. Mais si elle avait su modifier mon fonctionnement de cette façon, cela faisait naitre en moi l’idée que je puisse faire le chemin inverse.
J’étais arrivé au bout en lui donnant le pouvoir total sur ma vie. Peut être était il temps que je signe un acte de paix ! Le plus difficile était de réaliser que celui-ci ne devait se signer qu’avec moi-même. Cette idée que Marina m’avait suggérée ne me semblait pas juste. Elle me l’avait répétée tant de fois… « Tires la au sol ». Je venais de prendre conscience que cette violence je me l’infligeais. Cette guerre, ce n’était pas contre elle que je la menai, mais contre moi. Je m’épuisais à prendre un problème comme s’il m’était étranger !
Il faisait chaud et même cette chaleur était suspecte et l’environnement… clos. J’avais retrouvé mon calme, et mon corps un espace de paix. Mes larmes avaient nettoyé mes tensions et mon esprit avait retrouvé sa cohérence. Mais avais je vraiment perdu la tête l’espace d’un instant ? Je pouvais, à chaque fois qu’elle m’envahissait, donner les détails précis de ce que je vivais. Je devenais presque aussitôt spectateur de mon esprit et de mon corps. Un être envahi par la peur… Cloué par celle-ci, l’angoisse était elle que je sentais mes moyens s’étioler. La laissant grandir… Grandir… Jusqu’à me sentir un enfant démuni. Comme si ma vie à cet instant précis ne pouvait être sauvée que par la présence d’un autre !
Et si je tentais l’expérience ? Si je mettais enfin toute l’énergie nécessaire et les chances de mon côté pour devenir l’acteur de ma vie ?
Je fermais à nouveau les yeux et je sentis mon corps aspiré… Je repartais jusqu’à cette porte, l’ouvrait, et la fermait à nouveau… Et là… Je descendais en marche arrière les marches de cet escalier quatre à quatre. Mon corps était lourd, mon cœur serré et ma gorge nouée. Et puis…
J’étais accoudé au comptoir qui séparait l’espace cuisine du salon. J’observais ce nouvel appartement qu’un couple d’amis venaient d’aménager. Les peintures étaient encore fraîches et cette odeur agressait mon odorat. Je cherchais du regard Marina. Elle était assisse sur le sofa au fond de la pièce, en discussion avec une amie. Je retournais le nez vers mon verre, essayant de respirer son odeur de vodka ananas. Il y avait du bruit, du monde et … j’étais seul !
Depuis quelques jours déjà, j’étais d’une humeur maussade, contrarié par des tracas professionnels. Je me sentais en surcharge émotionnelle et cet état m’inquiétait d’autant plus que je savais que c’était dans ces moments là qu’elle apparaissait avec plus d’intensité.
Le brouhaha se fit plus agressif, et l’écart entre moi et le monde se creusait encore plus. Je sentais ma nuque se raidir, mes mains devenir moites. Je les frottais à mon pantalon ! Mon cœur s’accélérait… Et cette idée grandissait en moi. Je dois fuir… Il me fallait fuir… Elle était là !
Je posais mon verre, quittant précipitamment la pièce en bousculant deux ou trois personnes sur mon passage. Mon regard ne se détachait pas de la porte de sortie. Je l’ouvris brutalement en refermant tout aussi vite derrière moi. Sur le palier je cherchais du regard une issue… Vitale… Immédiate !
– « Le toit ! » pensai-je
Je mis le pied sur la première marche prêt à m’élancer, et en même temps une autre pensée vint à moi :
– « Non pas cette fois ! Il faut que la regarde. Il me faut l’accueillir ! »
Je m’assois sur cette marche, étouffé par l’angoisse, luttant contre cette envie de m’enfuir, essayant d’ignorer l’urgence de mon état. Je la regarde ! Qu’a t’elle à me dire ? A m’apprendre ?
Et je revins tout doucement à moi, à mon souffle, à l’instant présent. Non sans mal car dès que mon attention se dispersait, à nouveau je sentais à nouveau le chaos s’installer, grandir en moi… Son intensité me faire vaciller… M’étouffer !
Je m’efforçais à revenir à mon souffle, je respirais à nouveau et l’alarme s’affaiblissait. Et à chaque décharge… Je recommençais. Inlassablement, rassemblant tout mon courage et ma volonté. Je me surpris moi-même de mes capacités. J’étais épuisé mais tellement fier de moi !
Je n’avais pas fui… Elle avait baissé la garde. La peur s’était étiolée. Elle avait disparu… Peut être pas pour toujours, mais était né en moi l’idée que j’avais acquis un moyen pour créer une distance. Cette tempête était terminée !
Aujourd’hui je venais de gagner, d’accepter un nouveau contrat. Celui d’être moi-même, et de puiser dans cette source intarissable qu’était ma force intérieure.
Je perçus alors le bruit de la porte et je sentis une main se poser sur moi… Marina…
– « Ca va ? me dit-elle. Il était là ? »
Je me laissai glisser contre elle… Las ! Mais heureux…
– « Oui, répondis-je dans un soupir. Mais cette fois-ci je lui ai limé les dents ! »
Emergency Exit de Joëlle Arevalo

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« Rien »…

Depuis quelques temps j’ai le sentiment de tourner en rond, ou plutôt de chercher vainement l’inspiration… Et je me trouve face au vide ! C’est très angoissant le vide dans une société qui nous presse sans cesse à être et faire. Ce soir pourtant je finis par lâcher prise et je cède au « vide », renonçant à chercher éperdument une inspiration quelconque pour un article, mon prochain roman, ou autre… Et tout devient paisible… Parce qu’en somme ce n’est pas le manque d’inspiration qui me fait défaut mais le moment présent. Ce temps si précieux où l’on observe, ressent et aime. Quel bonheur et quelle leçon ! Ce vide tant redoute devient tout à coup plein … Du seul temps de notre vie réelle : l’instant présent … Et la tout s’active naturellement, tranquillement… Le « rien » n’est pas « rien » ?
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