Loup & Cie…

Quelque part dans l’univers, très loin de notre planète terre… Un univers teinté de couleur bleu éclatant, jaune étincelant, avec des touches de noir et de gris. L’univers fantastique de la famille Youpala pépé !

Vous ne les connaissez sûrement pas, mais je m’attelle aujourd’hui à vous raconter leur histoire, parce que quoi que l’on en dise, les histoires des uns et des autres sont toujours des histoires avec des légendes personnelles très particulières…

Sur cette minuscule planète (je ne citerai pas de nom car elle ne m’apparaît que par cycle de dix ans au bout de ma petite lunette d’astronome), je pouvais voir vivre ces personnages si singuliers mais tellement attachants ! Il y avait donc papa Youpala pépé, un homme mystérieux, qui savait être par intermittence très taquin, mais qui surtout donnait l’image d’un homme peu satisfait, comme certains êtres humains qui ont l’impression de ne pas avoir réussi leur vie…

Maman Youpala pépé, elle, était discrète ! On aurait pu dire d’elle qu’elle n’existait pas réellement tellement elle avait cette tendance à se mettre aux services des autres, à accepter les reproches ! Pourtant à l’observer de plus prêt, et ceux durant plusieurs décennies (eh oui il ne parait pas mais je suis une grande dame), elle semblait tout à fait satisfaite de sa vie et s’accommodait parfaitement de ces parasites !

Donc comme je vous le disais toutes les décennies, pour un temps donné de trente un jours, et ceux sur une quarantaine d’années, à compter que ma première rencontre avec cette famille remonte à l’époque des mes quarante huit ans… Faites donc le calcul, je suis âgée mais toutes mes facultés du souvenir sont intactes pour ne pas oublier un détail qui pourrait changer le cours de leur histoire…

Donc commençons par le début ; un soir d’été où lasse de ma journée de travail dans une usine de manufacture, me prélassant sur la balancelle dans mon jardin, j’aperçus une ombre se faufilait sur le terrasse. Je restais quelques instants sur la réserve, puis je pris mon courage à deux mains et j’allais voir de plus prés. Je découvris un paquet sur le devant de leur porte avec mon prénom noté dessus. Il était noté plus exactement : « Pour Yella, belle fleur d’Irlande, qui ne voit pas encore l’univers et ses possibles… ». Hésitante, je me mis tout de même à ouvrir le présent et je découvris avec stupeur un magnifique télescope de bois précieux. Ni nom, ni indice ne pouvait me permettre de découvrir de qui venait ce cadeau. Je n’en fis pas une affaire, je me mis plutôt, à partir de ce soir là, à découvrir l’univers… Je n’eus pas de relâche à observer les étoiles durant une bonne quinzaine, quand tout à coup je pus apercevoir, parmi une multitude d’étoiles plus scintillantes les unes que les autres, une planète en mouvement. Après quelques ajustements, je pus enfin distinguer avec une précision remarquable les Youpala pépé en activité effervescente sur une petite parcelle de terre bien ordonnée !

Et ceci, bien évidemment, pendant trente un jours, où je pus découvrir et « entendre » (et oui nous avons quelques ressources non utilisées) cette petite famille, pas triste du tout. Nous connaissons donc le père « Patricio », la mère « Térésa », et se cachait les premiers temps derrière le seul arbre de la propriété « Gracilla » leur fille. S’affairaient autour d’eux, « Vérona » la chienne fidèle et parfois exubérante, cochon, poules et canards, et plus loin, derrière une barrière imaginaire, « Savant » le loup aux pattes blanches.

Mais revenons à cet arbre, seul et unique sur cette parcelle, un tronc gigantesque avec une circonférence indéfinissable. Majestueux, doté d’une écorce sans faille et luisante. De tous ses angles, on ne pouvait apercevoir ce qui se passait à ses abords, parfaite cachette sur un terrain désert pour s’isoler un peu. Voici où, enveloppée d’un plaid multicolore, Gracilla passait des heures jouant à cache cache avec Monsieur SAVANT. Ce loup, qui ne savait pas faire figure attristée, essayait désespérément de communiquer. Montrant patte blanche à cette petite fille apeurée. Je ne connaissais pas tout de leur histoire. L’avait-il par le passé maltraitée, mordue ? J’étais bien plus intrigué par le fait que ce loup ne dépassait jamais la ligne imaginaire. Qu’avait-il de si important à lui dire, pour passer des heures à l’observer ? Qu’avait-elle de si important à protéger pour ne pas oser sans approcher ?

Je compris bien plus tard qu’il s’agissait en fait de simple et stupide consigne… et bien évidemment, idées reçues… Entendons nous bien les loups mordent…

Quelques fois dans la journée, Gracilla sortait de son espace pour s’adonner aux tâches familiales ! Le meneur d’ordre était toujours son père et chacun s’exécutait. Il y avait bien sûr plus de réprimande que de félicitations mais chacun semblait s’en accommoder. Térésa l’aimait. C’était tellement naturel, qu’on pouvait presque se demandait ce qu’était l’amour ! Gracilla, elle, avait beaucoup plus de mal à s’épanouir auprès de lui, mais elle lui vouait, par son éducation, un amour filial sans condition.

Et j’observais durant trente un jours le spectacle que m’offrait cette famille « presque » tranquille… Puis plus rien… Et une décennie plus tard, je retrouvais Patricio bêchant avec hargne son jardin, quelques traits de son visage s’étant épaissi. Térésa, s’affairant à ses rituels domestiques d’une vie bien complète, les traits s’épanouissant de jour en jour. L’arbre gigantesque toujours aussi vert et fort, cachant derrière son écorce solide, le petit corps de Gracilla, les traits en quête de liberté. N’oublions pas Monsieur SAVANT, patte blanche en avant, toujours pas autorisé à s’exprimer…

Je pensais bien souvent « Quel dommage ! » mais les trente et un jours s’étaient écoulés…

Quelle importance, me direz-vous, ai-je pu accorder à ces rendez-vous décimaux nocturnes durant une vie entière ? Et bien je vous répondrai que l’important pour moi fut toute cette force que ces personnages ont décuplée durant quarante décennies à s’éviter cordialement et à éviter de penser autrement ! Et je vécus par procuration quarante fois trente un jours de leur vie, sans pouvoir leur dire qu’il était possible de penser autrement, de vivre librement et surtout de s’aimer autrement…

Triste fin me direz vous ? Et bien détrompez-vous je ne perds pas la mémoire et je vous avais annoncé une quarantième décennie. Entre temps bien entendu ma vie aussi avait changée, évoluée, s’était élargie, agrandie… mais là n’est pas le plus important. Le plus important finalement se cachait quelque part derrière cet immense arbre. Parce que malgré le sentiment que tout était immuable, derrière cet arbre Gracilla grandissait, grandissait et grandissait encore. Elle grandissait tellement que cet espace imaginaire, imperceptible à l’œil humain… Cet espace qui la séparait de Monsieur SAVANT aux pattes blanches, n’existait plus. Elle le l’avait enfin rencontré. Elle avait autorisé ce partage et, de ce fait, rassemblait ce qui en fait lui appartenait depuis bien longtemps déjà. Pour cela elle avait entendu ce courage qu’il avait à lui donner, ce plaisir de la vie qu’il voulait lui faire goûter…

C’est pour cela que le trente unième jour de cette quarantième décennie j’ai assisté au départ de Gracilla. Je vis sa mère Térésa lui donner des ailes pour se mouvoir dans la vie et je vis Patricio, son père, le visage fermé et les yeux plein de reproches la regarder partir. Pourtant Gracilla marchait le buste droit, le regard vif et l’esprit ouvert vers sa propre vie. Comment ne peut elle pas être bancale me direz vous ? Tout simplement parce que ce loup à pattes blanches qui l’a terrifié durant ces quatre décennies, Gracilla savait que c’était son père qui lui avait donné…

Une morale à cette histoire ? Sûrement pas, seulement le plaisir de croire que ce cadeau que l’on m’a fait il y a bien longtemps m’a permis de comprendre que si nous ne pouvons pas agir sur tout, nous pouvons au moins agir sur notre propre vie.

Je vous laisse penser positif… Pour le reste, si vous rencontrez au détour d’une rue Gracilla, elle sera à l’image de cette lumière que nous possédons tous… Qui n’a pas une famille Youpala pépé quelque part dans un coin de sa tête…

loup